Carnet d’affût au Ventoux .
Dans l’affût, tu ne peux pas donner rendez-vous à ton sujet.
Rien n’est écrit : tu t’installes le matin avec une intention et tu vas observer autre chose.
Cela m’est encore arrivé ce matin du 23 novembre 2024 et restera pour moi une grande première.
Partis avec un ami , Mattéo, pour observer, dans une des célèbres combe du Ventoux , le loup, nous allons être témoins d’une observation rare et captivante pour moi et la montagne.
En place dès 6 h. Il fait 2 degrés, la lumière monte doucement. Nous sommes statues. Là un chevreuil s’avance doucement au loin en quêtant sa maigre pitance dans le sous-bois ; là-bas, quatre biches remontent doucement la combe et vont rejoindre six autres cervidés dont un grand cerf. A 140 mètres environ, un instant, lui aussi est statue. En réalité, il ferme la marche d’une petite procession. Maintenant toute la troupe s’attarde près d’un arbre plein de gui. Certaines, debout, sur leurs pattes arrière, essayent d’atteindre ces friandises… Trop haut !
7 H 30 Encore des hardes de biches dans le même sens, remontent. Tout le vallon n’est que vie sauvage et s’emplit parfois de bruissements trahissant sa présence.
8 h00 Déjà deux heures sans bouger… Une nouvelle harde de biches et deux daguets sont maintenant à quarante mètres de nous… Quel spectacle ? Non ! La nature n’en est pas un, elle est un théâtre vivant. Quelle chance et quel bonheur ! C’est plus juste.
On se déplace enfin pour tenter de se réchauffer un peu et on arrive face à une petite paroi rocheuse. Calé à mi hauteur, un chamois y est couché et attend patiemment lui aussi l’arrivée des premiers rayons du soleil. Il rumine paisiblement… Il ne sait pas encore qu’il est observé.
Soudain des biches toutes proches nous ont repérés et détalent… Le chamois se lève et disparait. Se sentant en sécurité dans le sous-bois gagné, les biches s’arrêtent; elles ne sont qu’à 60 mètres et se laissent, quelques instants, observer…
Tout à coup, une masse brune, rapide, d’une envergure impressionnante nous survole… je fais une série rapide de photos, à l’instinct, sans véritable conviction, par pur réflexe même. Ce doit être un vautour… c’est bon signe, les loups ont peut-être frappé et il va nous conduire à une carcasse.
Il descend encore et encore la combe… sa vitesse de déplacement est grande sans un coup d’aile. Nous le perdons de vue.
Après avoir continué quelques minutes d’observer les biches toujours là devant nous, je décide de regarder les quelques photos faites à la volée, histoire de rapidement les juger et savoir si je les efface ou si je les garde.
Deux détails, rapidement, m’interrogent : la forme de la queue de l’oiseau et une petite barbiche au niveau du bec…
Les vautours fauves ne sont pas du tout comme cela….Je n’en crois pas mes yeux, nous n’en croyons pas nos yeux : un gypaète barbu là, à 9 h du matin sur le Ventoux….?
Mais où est-il allé ? Nous prenons de la hauteur pour voir si on l’aperçoit à nouveau…Il est en face de nous, à 200 mètres… J’essaie tout de même de faire encore des images…
Sinon, on ne va pas nous croire…
Un gypaète barbu au Ventoux…
Nous nous asseyons un moment et observons la série de photos .. A quelques pas de nous, un clin d’œil de dame nature : des os… puis un magnifique fèces de loup.
Me viennent alors une série de questions :
Le territoire est-il prêt à l’accueillir dignement ce nouveau venu : le gypaète ? Avec ce qui se passe dans les gorges de la Nesque, je me dis que ce n’est pas le bon territoire, les hommes ne sont pas prêts à l’accueillir. Va-t-il lui aussi être accepté ? (lisez mon article : ballets aériens dans les Gorges de la Nesque)
Grâce à la couleur de sa tête, nous pensons que c’est un jeune de moins de 3 ans, il prospecte et ne devrait peut-être pas s’installer.
Que fait-il là ? Il a sûrement observé ses cousins les vautours fauves et il pense lui aussi trouver de quoi s’alimenter… Oui, les loups seront utiles à ta survie à toi aussi.
Alors peut-être qu’il se plaira sur notre géant…
Je ne sais pas si tu es bagué, mais j’observe sous ton aile gauche une décoloration et une absence de grande plume… Tu es suivi ; mais d’où viens-tu et où t- a-t-on marqué ?
Malgré sa taille, le plus grand rapace des Alpes est discret et difficile à observer. Ajoutez à cela un territoire immense et un nombre d’individus relativement faible, et vous comprendrez pourquoi il est très difficile de l’observer.
Dans l’écosystème montagnard, le gypaète se situe au sommet de la chaîne alimentaire. Exclusivement nécrophage, il se nourrit des cadavres d’ongulés sauvages et domestiques qu’il trouve en altitude. Il s’est même spécialisé dans la consommation d’os qu’il casse en les laissant tomber sur des pierriers. Il les avale ensuite et les digère totalement grâce à ses puissants sucs gastriques. Ainsi, le gypaète joue un véritable rôle d’équarisseur naturel au service de la nature.
Il est donc désormais possible sur le Ventoux de photographier les 4 espèces de vautours : le fauve, le percnoptère, le moine et enfin le gypaète barbu.
En observant cet oiseau, nous avons ressenti un mélange d’admiration et de respect. Chaque photo que nous prenions nous rapprochait un peu plus de cette essence sauvage. Cette rencontre n’était pas qu’un simple moment : c’était une communion avec la nature, une expérience spirituelle qui nous a profondément touché.
Lorsque le gypaète a finalement disparu vers l’horizon, nous avons su que nous venions de vivre quelque chose d’extraordinaire, de rare de précieux. Alors que nous rangions nos appareils, la assis dans les graminées de cette grande clairière, une vague d’émotion, de bonheur nous a submergé.
Ce jour sur le mont Ventoux, nous n’avons pas seulement photographié un oiseau rare ; nous avons capturé un instant de grâce, un moment suspendu dans le temps, un symbole de la beauté et de la fragilité de notre monde naturel.
Photo du dessus d’un jeune gypaète en captivité, avant future réintroduction… Notez la couleur noire de son plumage sur la tête.
Un adulte cette fois ci avec son splendide et typique plumage. Photos du jeune en gros plan et de l’adulte réalisées en Savoie.
Ci dessus un vautour fauve.
Ci-dessus un vautour percnoptère
Ci-dessus un vautour moine au premier plan. (le tout noir bagué)