■ Un seigneur dans le Ventoux sur un air d’opéra : le brame du cerf dans le Ventoux.
Une nuit de septembre dans le Ventoux, au clair de lune, une voix puissante et grave se fait entendre : c’est le signal. Bientôt des profondeurs de la forêt d’autres lui feront écho.
Au début de l’automne les forêts du Ventoux s’emplissent des clameurs du grand « fauve » local : le cerf.
Chaque année le cerf du Ventoux remet en jeu sa dominance et la possession de son harem.
C’est ainsi que, nuit après nuit, le ton monte : le Ventoux tremble alors de toutes ses entrailles au souffle puissant de la symphonie fantastique.
L’action se poursuit alors pendant au moins un mois, de poursuites en parades et de duels en rapts.
Pour pouvoir les apercevoir, (mais le faut-il ?), vous devrez endurer de longues heures d’observation et de localisation des lieux et places de brames. Plutôt des clairières, en sous bois profond car dans le massif du Ventoux le brame est roulant. Certes les places sont visibles mais souvent les cerfs suivent les biches…
Cela ne s’improvise pas ; tout le secret réside dans le fait d’entendre sans être entendu, d’espérer voir sans être vu, car les cerfs demeurent des animaux sauvages. N’oubliez pas : parfois charger pour eux est mieux que fuir… surtout quand la biche est en chaleur est que vous pouvez être pris pour un rival ! Ne vous y risquez pas !
Le camouflage et la parfaite connaissance des lieux sont très importants. Au moindre bruit les biches et les jeunes cerfs gardiens des lieux aboient afin de prévenir leurs congénères.
En effet, cette période d’activité des grands cerfs est d’autant plus difficile à décoder qu’ils sont très souvent entourés de daguets en électrons libres qui gravitent atour des harems pour tenter de débusquer une jeune femelle : cela fait autant de paires d’yeux et de nez susceptibles de déceler votre présence si discrète soit-elle.
Alors qu’ils vivent en solitaires le reste de l’année, ils s’approchent des zones où se rassemblent les biches pour la période du rut. La concurrence est alors rude, tout est bon pour marquer son territoire et séduire son futur harem. Seuls les cerfs adultes manifestent ainsi leur excitation. Les plus forts rassemblent le plus grand nombre de biches et interdisent leur approche à ceux de leurs congénères auxquels ils se sont imposés.
Avec l’ouverture béante de cette glande si caractéristique au coin de l’ œil (le larmier), ils marquent toute la végétation aux alentours en se frottant aux branches et aux troncs, dressant ainsi une muraille olfactive autour d’eux et de leur harde.
Pour moi, ce matin, il est difficile de voir quelque chose car un épais brouillard a fait place au dernier matin chaud de la veille, la lune aussi, à travers le rideau des brumes, a du mal à descendre se coucher à l’ouest et s’attarde un moment sur les crêtes du Ventoux qui se devine, tel un pâle soleil doré.
Pourtant devant moi ce matin, le son mais pas l’image ! pourtant des combats de titans se font entendre…
Elles ne sont pas 2 mais 3 grandes silhouettes de cerfs qui se font face, en triangle.
La dominante affrontant à tour de rôle chacun de ses adversaires dans un fracas extraordinaire d’ombres chinoises.
Les combats violents ne se produisent qu’entre animaux de forces égales; ils sont assez rares et, en général, après de nombreuses menaces, coups dans les branches et le sol, le plus faible va tenter sa chance ailleurs. Il arrive cependant, mais très rarement, que les animaux aillent jusqu’au combat et à la mort.
Les animaux se chargent et essayent d’atteindre les flancs de leur adversaire avec leurs andouillers de massacre.
Arbuste, buis, chêne adulte, peu importe ce qui se présente alors sous les sabots de ces combattants : plus rien n’existe. Une telle force se dégage de ces affrontements de brutes que l’animal mérite le statut de roi de la forêt du Ventoux.
Pourtant difficile pour moi d’immortaliser ce moment, trop peu de lumière et tout va si vite.
Souvent témoin de la bêtise humaine, j’ai envie de dire à tous que malgré de somptueuses apparences, le brame n’est pas un spectacle, mais qu‘il est la vie dans ce qu’elle a de plus sacré, « au moment où il lui faut se reproduire ou disparaître ».
Alors, Mesdames, Messieurs, faites preuve de respect et de discrétion si vous voulez mériter et être digne de ces instants fugaces. Ne campez pas près des places de brames, ne grimpez pas à la cime des chênes pour tenter de les approcher, ne marchez pas en tirailleur pour les rabattre, comme, trop souvent, je le vois faire.
Boisrouvray disait avec justesse : « Tant que personne ne vient troubler le cérémonial du brame, en gripper le mécanisme, interrompre son cours minutieux, tout va bien. Mais la symphonie est si sublime ! Des hordes de spectateurs se pressent alors à tous les guichets de la forêt, en enfoncent les portes, s’engouffrent dans les allées ; se ruent vers les meilleures places et grimpent sur la scène, semant la panique dans la troupe. Les chanteurs se taisent et se refugient en coulisse ; le rideau est tiré, et les hommes se retrouvent entre eux, comme des cons.. »
Oui le décor est somptueux : des rideaux de feuillages aux couleurs flamboyantes, des tapis de mousses et des souches mortes éclairées ça et là par un jeu de lumières échappées de la cime des arbres.
Lumière noire au petit matin, voire grise au milieu des nuages et soudain si pure quand les coups de projecteurs du soleil lèvent le voile sur les acteurs .
Cependant vous ne pouvez pas imaginer le nombre d’heures d’approches ou d’affûts que j’ai endurées pour obtenir les portraits que je présente dans mes expositions.
Savez-vous qu’Il faut parfois savoir se contenter du minuscule balai d’un groupe de fourmis ou de la vive curiosité d’un rouge gorge, pour égayer vos interminables heures d’attentes…
Lever tous les jours à 6 heures pour être sur place bien avant le lever du soleil et rentrer pour 8 h30 au travail.
Le soir, c’est à partir de 18 heures jusqu’à la tombée de la nuit que la lumière et Eole peuvent se montrer complice du photographe. Mais là encore il ne faut pas s’éparpiller, rester immobile afin de ne pas disséminer ça et là votre odeur qui éloignera les ardeurs même des plus excités.
Souvent quand le réveil sonne, fatigué de chercher souvent en vain ces fantômes, las de cette quête de l’impossible je me laisse replonger un instant bien au chaud, mais une force invisible et inexplicable finit tout de même par me faire sortir du lit douillet.
A peine le temps de grimper en voiture en réduisant le petit déjeuner à sa plus simple consistance que déjà sur place la première montée d’adrénaline me gagne : ce matin c’est à un véritable concert auquel j’assiste, tous les acteurs sont déjà en place : une dizaine de voix différentes s’expriment sans ambiguité dans le théâtre de la nature.
Apres 40 minutes de marche et de détour pour éviter de révéler ma présence, je suis enfin prêt. Mon approche a été bonne car déjà j’entends le grand dominant qui « fait du bois ».
Pendant environ dix minutes il restera tout près de moi, à environ 50 m, grattant le sol en donnant le meilleur de lui-même mais …. Bien sûr, sans jamais se laisser apercevoir.
Je rebrousse alors chemin en le laissant en place et décide de m’avancer sur un autre lieu quand soudain une branche craque… et, que vois-je venir droit sur moi ? Un autre superbe cerf est là, devant moi. Juste le temps de mettre un genou à terre et de soigner mon cadrage… il n’est plus qu’à une quinzaine de mètres de moi.
Le vent est favorable, mon camouflage correct mais cette fois ce sont mes paramètres de prise de vue qui ne le sont pas, le temps de mettre mon regard dans l’œilleton et de monter ma sensibilité iso, d’ajuster ma housse insonorisante et enfin de bloquer ma respiration…, mais il m’a aperçu et il m’a repéré.
Une négligence impardonnable me prive d’un cliché unique : j’aurais du vérifier tout cela avant de partir, je peux quand même prendre 2 séries de photos…
Plus tard je contemple mes prises et je peux enfin savourer cette rencontre. Dire que j’ai failli rester au lit !
Je vous fais grâce des descriptions sans fin de mes sorties ou rien ne se
passe comme je l’aurais voulu.
Je préfère les journées froides et humides qui feront sortir du bois ces vieux mâles moins habitués à la présence de l’homme par mauvais temps, mais là encore ce n’est que mon analyse subjective.
Les prises de vue qui sont pourtant rendues difficiles par mauvais temps ajoutent parfois à la photo une note exceptionnelle indéfinissable. Le vent, le froid, le brouillard affrontés, même réunis, créent parfois des décors sublimes. Les belles photos appartiennent à ceux qui se lèvent tôt et par tous les temps…
Je le redis le brame n’est pas un spectacle auquel on vient assister, c’est la Vie, respectons quelques règles essentielles pour l’avenir de l’espèce.
Les cerfs du Ventoux texte et photos de nicolas ughetto © www.nicolas-ughetto.com