Montagne magique, nouvelle rencontre magique, avec un jeune loup cette fois.
Récit d’une rencontre.
14 septembre 2016 dans le Ventoux, c’est ta première sortie d’observation pour localiser les acteurs de ta future pièce de théâtre numérique, je veux parler des cerfs que tu aimes tant aussi.
Lorsque les températures chutent et que les couleurs tournent, les forêts du Ventoux commencent à résonner des râles rauques de quelques grands mâles en quête d’amours.
Par expérience, ce vendredi … de septembre, vers 18 heures, tu sais qu’il fait encore trop chaud et que le brame ne fait que commencer, pourtant tu décides d’y aller quand même…
Après 25 minutes de marche ascensionnelle pénible en sous-bois, tu décides de t’arrêter un moment pour reprendre ton souffle mais surtout pour observer longuement. A peine immobile, des dizaines de mouches viennent te coller le visage, signe de surchauffe durant ton ascension que tu as exécutée trop couvert comme à ton habitude.
Je te croyais plus affuté que cela, toi le photographe…
C’est à ce moment-là que ton odeur m’est parvenue. Inquiète pour les miens, je vais te suivre.
Un regard circulaire acéré te fait te souvenir de chacune des clairières où tes nombreuses rencontres éphémères ont eu lieu les années précédentes… Et si le douze cors était encore là cette année ? Pourtant, pas de traces d’une place ni de son passage et peu d’empreintes sur le sol récemment raviné par les derniers orages violents. Conscient que ce sont souvent tes déplacements qui trahissent ta présence, je sais que déjà tu t’interroges : « c’est surprenant que je n’ai dérangé aucune biche ni croisé aucun jeune cerf. Mais où sont ils ? »
Dix longues minutes, stériles, passent ainsi… La lumière baisse encore quand la combe en face de nous se met à s’animer de bruits de pierres retournées. Un, puis cinq, dix, vingt, une trentaine de sangliers en quête de nourriture soulèvent avec leur nez le maigre tapis de sol composé d’un peu d’humus parfois habité et de beaucoup de calcaire en plaques éclatées.
Tu décides alors de les approcher : faute de grives, on mange des merles ! Cela te prendra alors 10 bonnes minutes et tu vas te retrouver pratiquement au cœur la harde…
Je t’observe : toutes mes félicitations, un vrai chasseur tu es devenu !
Tu es parfois même tellement près, à moins de 10 mètres de certains, que les courants d’air et ton odeur d’homme finisse une nouvelle fois par te trahir. Un grognement et les voilà en train de fuir bruyamment.
Tu décides alors, en revenant à ta quête première, de te diriger vers une de tes places préférées. Même si tu n y as jamais réussi de grandes photos, ce lieu a toujours été pour toi riche de promesses : beaux décors, paysage magique avec le sommet du Ventoux comme sublime arrière-plan.
Tu décides alors patience, immobilité et observations silencieuses afin de tenter de déceler enfin la présence d’un cervidé. Les minutes passent…Rien !
Plus que quelques secondes et le disque solaire disparaîtra sous la grande aile du Ventoux. Tu montes bien sûr en iso en anticipant une prise de vue éventuelle : 1600 iso et F4 te permettront d’assurer une photo mais pour cela il te faudrait beaucoup de chance, mais tu ne le sais pas encore, car à part nous…
Tous tes sens sont en alerte. Pourtant tu ne décèles pas d’odeur particulière ni de trace laissée sur les branches des chênes ni sur les rares pins. Aucun indice de présence, c’est pourtant bien le début du brame. Connaissant parfaitement le secteur, tu décides de t’enfoncer davantage encore dans les bois sans doute pour maintenant provoquer une rencontre. C’est alors que je me décide à te rapprocher, car mon inquiétude parentale croît. Quel sens te guide maintenant et pourquoi prends-tu cette direction ? Instinct des hommes ou hasard bienveillant ? Je ne le saurais jamais.
Un vent plus frais vient alors te refroidir le visage et le corps tout entier. Tu avances face à lui. Il est pour toi une aubaine car dans ta progression, ton odeur ne trahira désormais plus ta présence. Seuls tes mouvements au ralenti et le bruit amorti de tes pas dans le sous-bois peuvent te trahir.
Tu avances alors comme l’un des nôtres en chasse, un pas, au ralenti, puis un autre ; le lourd trépied garni comme un bouclier devant toi. Ce que tu ignores, c’est que nous sommes établis ici depuis quelques semaines et que ne trouveras pas ce que tu cherches. Tu récidives doucement, un nouveau pas et encore un autre… lorsque ce que je redoutais va se produire, un mouvement furtif gris et roux à la fois attire tes yeux à une vingtaine de mètres devant toi.
L’imprudent …!
Chien ou renard roux? Non tu es sûr de toi. Pas un charbonnier non plus.
Le temps de faire plus vite quelques pas et de scruter à nouveau dans la direction de cet éclair disparaissant, tu prends vite toute la dimension de l’animal qui est devant toi.
Il continue de marcher en s’éloignant de toi, avec un pas quasi dansant et à chaque fois qu’il pose une patte au sol, tu dois le trouver encore maladroit, pataud, comme si il y avait une disproportion entre la taille de ses pattes et le reste de son corps. Moi, je le trouve élégant, mais pas assez méfiant. Je n’ai pas terminé son éducation, il ne sait pas encore qu’une odeur peut en cacher une autre.
Son dos est gris comme celui d’un lièvre, le derrière de ses oreilles fines et pointues d’un roux de lièvre aussi, sa queue est courte et relativement fine.
Il file, il file devant toi puis sa trajectoire s’arrondit pour disparaître…
La scène qui a duré une dizaine de secondes a du te paraître une belle éternité gaspillée. Longtemps, quand tu essaieras de revivre ces instants au ralenti, tu te demanderas pourquoi la stupeur ressentie a pu te distraire au point de ne pas en avoir une trace photographique.
Moi, je t’observe de plus près encore mais tu es tellement captivé par mon fils qui sans doute me cherche que tu n’imagines même pas ma présence.
Tu essaies de t’adapter en te déplaçant encore à pas feutrés et te mettant en mode réglage manuel car la lumière décline encore et le sous-bois devient de plus en plus épais, des troncs de chênes blancs recouverts de lichens moussus doivent t’empêcher de faire la photo de tes rêves..
C’est seulement maintenant que l’odeur âcre et forte de l’un de nos derniers festins doit t’envahir les narines. Blaireau, cerf en rut ou animal en décomposition, tu hésites et tu cherches du regard, autour de toi. Tu prends enfin conscience que tu approches d’une scène de crime…Tu ne vois toujours rien, même pas mes yeux ni ma silhouette là, juste derrière toi… Soudain, c’est un petit hurlement, qui trahit sa présence avec certitude et qui te permet à nouveau de le localiser avec précision.
Il se tient là, confiant, assis, ignore ta présence et regarde devant lui en te tournant le dos, le nez au vent en hurlotant quelques secondes une mélodie que tu dois trouver lugubre.
Maintenant, à 40 m environ de toi, mon jeune fils écoute… une aubaine pour toi, sans doute le temps de faire quelques photos flous à travers les troncs sérrés, depuis la position inconfortable que tu occupes, tes pieds glissant sur le sol trempé.
Impossible de réussir j’imagine une mise au point correcte : trop d’obstacles entre lui et toi ; pourtant tu persévères.
Il simule à nouveau un hurlement mais cette fois, aucun son ne sort de sa gorge levée au ciel. Il finit par regarder de côté t’offrant ainsi une zone de mise au point plus grande et tu sais en le regardant que tu peux alors espérer réaliser une photo plus nette…
Non, tu ne rêves pas ! … C’est le brame d’un cerf au loin qui te fait retourner à la réalité.
Déjà presque 3 minutes que tu es en notre présence…
Il reprend alors son pas dansant tel un jeune chiot au pas lourd et disparaît définitivement pour toi.
Tu espères encore le revoir et tu te décales de quelques mètres quand tu comprends enfin la cause de cette odeur tenace qui te prend maintenant à la gorge et qui devient insupportable.
Un magnifique dix cors est allongé sur le sol à moitié dévoré. C’est lui qui dégage cette odeur poivrée musquée caractéristique de ces grands animaux morts.
C’est notre garde-manger. Il était si faible ce cerf que pour nous ce fut une vrai opportunité.
Toi le photographe passionné je t’ai laissé t’approcher et rencontrer un membre de ma famille, mais sois prudent, fais bien attention à qui tu montreras sa photo.
En 2010, dans les carnets du Ventoux, je te disais déjà « Il y a ceux, qui, en bandes, habillés en fluo me voient comme un concurrent et me tirent souvent comme un vulgaire sanglier, ceux avec un bâton à la main qui m’accusent, sans procès, de décimer leurs troupeaux alors que des chiens sans collier errent affamés dans leur périmètre. »
Les choses ne se sont pas améliorées bien au contraire, nos cousins les plus proches, que vous appelez parfois les « loups tchèques » qui sont dans vos foyers chassent et tuent pas plaisir et nous font accuser de tous les maux de la terre..
Souvent j’entends hurler ces loups-chiens et ils sont de plus en plus nombreux. Souviens-toi du récit de ton jeune ami photographe qui a été témoin oculaire, en août dernier, non loin d’ici, de cette mise à mort d’un sanglier de 30 kg par 2 loups-chiens.
Il y a 5 ans je te disais aussi « Toi le photographe qui me ressemble un peu, tu comprendras que nous ne sommes pas prêts à nous établir sur ce territoire occupé. Un jour alors dans des centaines de lunes, là-bas dans cet endroit que tu ne connais pas encore, et que tu découvriras peut être, je déclinerai ma vie de loup aux quatre saisons du Mont Ventoux ».
Les années ont passé, tu n’as pas encore découvert notre tanière mais tu viens, ce soir, de faire connaissance d’un de mes louveteaux, né pas très loin d’ici. Si je t’ai laissé le découvrir, c’est que ton approche secrète et discrète sur notre territoire me plaît.
Je t’ai entendu parler de nous et de toute la faune sauvage et je vois avec quelle minutie et quel respect tu parles de nous.
Mais, photographe, je t’implore ! Dis aux tiens de ne pas nous abattre comme des chiens galeux et de surveiller leurs loups chiens égorgeurs de troupeaux pas toujours bien surveillés.
Mais toi le photographe, tu pourras témoigner car tu n’es, hélas, pas le seul à nous avoir croisés…